Contexte sociétal et économique

L’ANR BOOST s’inscrit dans le contexte de la bioéconomie et a pour objectif de faire la démonstration de la possibilité de l’utilisation du bois, sous forme de placages, pour son utilisation comme matériau structurel pour les véhicules. Ses principaux atouts sont ses bonnes propriétés mécaniques rapportées à sa masse volumique et son impact environnemental avantageux lorsqu’il est produit et transformé localement. C’est pourquoi BOOST cible plus particulièrement les contreplaqués à base de feuillus pour leur faible coût et leur disponibilité en France. Aujourd’hui, il existe une demande sociétale forte pour une société décarbonée, une gestion rigoureuse des ressources, des circuits courts et l’utilisation de matériaux sains, renouvelables et écologiques. Le bois est une réponse pertinente à ces préoccupations et il a connu ces dernières décennies un fort développement dans la construction de bâtiments. C’est aussi une ressource locale, abondante (la surface de bois française a pratiquement doublé en un siècle), économique, renouvelable et dont l’énergie grise est très faible. Cette industrie, non délocalisable, pèse environ 500 000 emplois en France. De plus, des études ont identifié le bois comme étant un des matériaux de substitution le plus à même de satisfaire les objectifs de la bioéconomie ou questionnent directement la possibilité de son utilisation dans l’automobile. D’après ces études, il faut retenir que le bois est un matériau « crédible ». D’une manière générale, le projet promeut l’utilisation des structures légères dans le domaine des moyens de transport (-100kg sur une automobile = -4g de CO2 émis/100km et une utilisation raisonnée des ressources. Un des objectifs est aussi de donner à la filière bois des débouchés à haute valeur ajoutée, garant de pérennité et de développement. C’est aussi ce qui justifie le choix du hêtre et du peuplier car la forêt française est composée à 67 % de feuillus qui sont très peu exploités contrairement aux résineux.
Le bois a été le premier matériau de l’aviation jusqu’à la seconde guerre mondiale. On peut citer le fameux Mosquito surnommé « The Wooden Wonder ». Sa structure était constituée de panneaux sandwich avec des peaux formées de plis de bouleaux et une âme en Balsa. Il a été fabriqué à 7781 exemplaires, avec une fabrication « one shot » de demi-fuselage et pouvait atteindre 612 km/h. Dans le domaine automobile, seul l’anglais Morgan propose encore aujourd’hui des voitures avec une superstructure en frêne mais un châssis en aluminium. Au Mans 1967, la Costin-Nathan possédait un châssis en bois contreplaqué aéronautique, les ouvrants étaient en fibre de verre et elle pesait seulement 410 kg. Ce bref et non exhaustif rappel historique montre que l’utilisation du bois comme structure travaillante a été possible et devient une réelle opportunité aujourd’hui, seul ou en association avec les composites modernes y compris pour les applications spatiales.
Aujourd’hui pas moins de trois sociétés françaises travaille avec le bois pour les avions légers et cette ANR a soulevé l’intérêt de nos partenaires industriels et institutionnels membres du Comité de suivi :
Airbus Avion, Daher Socata Tarbes, Aura Aéro, Elixir Aircraft, Avions Mauboussin, Ministère des Armées DGA, CNES, Naval Group, Ségula Ingénierie, Groupe Renault, Union des Industries du Panneau Contreplaqué, Garnica, Pole Xylofutur.

 

Premier Bandeau : des applications anciennes : Le mosquito et la fabrication des deux demi fuselages (2 images de gauche) ainsi que la Costin-Nathan à châssis bois, 1100 cm3, 410 kg.
Deuxiéme bandeau : des applications récentes : Avion d’acrobatie Aura Aéro, Projet WoodCAR, Avion Mauboussin, Micro-sattelitte structure Bois

Objectifs Scientifiques

AXE 1 : DEFINIR UNE STRATEGIE DE MODELISATION JUSQU’A RUPTURE DES CONTREPLAQUES.

Dans la Figure 2, on montre quelques faciès de rupture en flexion 3 points de contreplaqués obtenus à l’ICA dans des études antérieures. Il y a des analogies très fortes avec les scénarios de rupture des composites stratifiés avec la présence de fissures « matricielles » traversantes et un couplage avec des délaminages locaux. Ces similitudes ont été retrouvées aussi en impact et compression après impact.

Faciès de ruptures obtenus en flexion 3 points d’un contreplaqué.

Aussi, il paraît opportun pour satisfaire l’objectif de l’Axe 1 d’utiliser la méthodologie « DPM »
(Discrete Ply Model)
développée à l’ICA depuis une dizaine d’année et qui a été appliquée avec succès à de nombreuses problématiques structurales des composites stratifiés, allant de l’impact aux ruptures trouées ou fissurées. Le DPM repose sur une vision phénoménologique des endommagements et prend en compte géométriquement les interfaces de ruptures (Figure 3). Les éléments verticaux en rouge modélisent la fissuration matricielle et ont soit une rigidité très grande, soit nulle. Ils sont pilotés par les points de Gauss des éléments volumiques adjacents. Les éléments d’interface entre les plis sont des éléments cohésifs classiques, d’épaisseur nulle, avec une loi de décohésion bilinéaire. Avec cette approche, le couplage intra-inter plis est naturel et ne nécessite pas de coefficients spécifiques difficiles à mesurer, ce qui constitue une très forte originalité dans son application au cas du bois. Les éléments volumiques permettent de modéliser la rupture des fibres. Dans les premières approches, un critère en déformation maximale était utilisé. Dorénavant, à cause des ruptures très énergétiques du carbone (comme pour le bois en traction : rupture fragile), un critère en taux de restitution d’énergie est préféré. Le calcul se fait en formulation explicite. Le maillage est complexe et réalisé par une routine Fortran. Une des particularités importantes du DPM par rapport aux autres stratégies de la littérature est le faible nombre et le caractère physique des paramètres matériaux à renseigner (13 pour un UD carbone, Figure 4) ce qui limite de manière importante les efforts de caractérisation.
Cette approche permettra par exemple d’intégrer les problématiques de fissuration cyclique des placages (Figure 4) dans la modélisation. En effet, il s’agit d’un endommagement systématique plus ou moins sévère qui intervient lors de l’opération de déroulage sur lequel le LaBoMaP a une expertise reconnue. Si de nombreux travaux expérimentaux ont souligné l’importance de la fissuration sur les propriétés mécaniques des panneaux de contreplaqués ou de LVL (Laminated Veneer Lumber), sa prise en compte dans la modélisation des propriétés de rigidité et de rupture reste un verrou scientifique. L’intégration des variabilités sera aussi au cœur de cet axe et le DPM possède une forte capacité d’intégration de cette problématique avec une programmation spécifique élément par élément par Abaqus, nécessaire au dialogue entre éléments de fissuration matricielle et éléments volumiques. Ce point est important car il y a une synergie naturelle entre la stratégie de modélisation de l’ICA et la mesure en tout point des caractéristiques matériaux (densité, orientation des fibres, fissuration cyclique…) proposée par le LaBoMap (Figure 3). Cette stratégie globale pourrait aussi résoudre des problèmes applicatifs propres à l’aéronautique qui nécessitent une connaissance extrêmement fine des matériaux impliqués, à des fins de certification pour satisfaire aux enjeux de sécurité. Si la stratégie DPM semble être un bon compromis, il y a donc un travail important d’adaptation et de validation à effectuer qui sera détaillé sous forme de tâches dans la partie I-c. La question de la détermination des caractéristiques des matériaux et de leurs variabilités est détaillée dans l’axe 2.

Modélisation de type Discrete Ply Model (DPM).

AXE 2 : CARACTERISATION DES PROPRIETES DES PLIS DANS UN OPTIQUE DPM.

Dans le cadre de la bioéconomie, il importe de maximiser l’utilisation des ressources locales. Aussi dans BOOST, il est fait le choix de se limiter à deux essences feuillues qui sont présentes sur pratiquement tout le territoire : le peuplier et le hêtre [43]. Ces essences prisées des dérouleurs pour leur homogénéité ont de plus l’avantage d’avoir des caractéristiques mécaniques très différentes : modules d’élasticités longitudinaux à 12% d’humidité absolue de l’ordre de 9.8 et 15.3 GPa respectivement ce qui permet d’imaginer des stratifiés aux propriétés contrastées. De plus, pour valoriser au mieux la ressource locale tout en maîtrisant les coûts, contrairement aux contreplaqués aéronautiques, ces matériaux devront être pris en compte avec leurs défauts comme la présence des nœuds, les variations locales d’orientation des fibres induites par ces derniers et les fissurations induites lors du procédé de déroulage (Figure 4). En effet, même de légères variations d’orientation des fibres peuvent modifier de manière importante les propriétés mécaniques (réduction de 50% du module d’élasticité longitudinal équivalent partir d’une inclinaison de 13°). Le verrou technologique de la mesure locale des propriétés des placages a partiellement été levé par la mise au point en collaboration avec AMVALOR d’un démonstrateur de mesure en ligne de l’orientation des fibres des placages. La mesure de la densité locale des placages avec une instrumentation légère (hors RX) reste un verrou technologique que nous proposons de lever lors de ce projet en exploitant les cartographies optiques.

 

Local Online Orientation fiBer AnalyseR, scan de placages de résineux (Douglas)
Local Online Orientation fiBer AnalyseR, scan de placages de résineux (Douglas)

 

Il est à noter que la modélisation DPM permet une prise en compte de ces défauts de par son caractère discret et que les défauts d’ondulations dans les composites font d’ores et déjà l’objet d’une thèse en cours à l’ICA. Concernant les caractéristiques élastiques et à rupture du matériau, celles-ci devront être évaluées dans les trois axes d’orthotropie du pli déroulé (communément identifiés comme Longitudinal, Tangentiel et Radial dans la grume ; l’axe radial étant l’axe hors plan orienté selon l’épaisseur du placage) soit 9 caractéristiques (\(E_{LL}, E_{TT}, E_{RR}, \nu_{LT}, \nu_{TR}, \nu_{LR}, G_{LT}, G_{TR}, G_{LR}\)). A priori, la loi de comportement à la rupture (voir Figure 5, « MAT 54 est assez similaire voire plus simple que celle déjà utilisée par le DPM. La loi de décohésion de la colle et son influence en termes de rigidité seront aussi à déterminer pour renseigner les éléments cohésifs. Des essais spécifiques (Compact Tension et Compression Test) seront effectués pour déterminer les taux de restitutions d’énergie dans le sens longitudinal et déterminer le type de modèle DPM adéquat. Le LaBoMaP se propose de fournir des cartographies résolues des placages intégrant défauts, angles des fibres, densité et endommagements pour permettre d’alimenter le DPM et lever ainsi les verrous listés. Ces cartographies intégreront des propriétés mécaniques locales déduites de campagnes expérimentales conséquentes.

Les treize caractéristiques mécaniques pour la modélisation à rupture des UD carbone en DPM. En blanc les caractéristiques élastiques du pli, en gris les caractéristiques de la colle, en vert les caractéristiques à rupture du pli. En dessous les adaptations à faire pour les plis en peuplier ou hêtre.

AXE 3 : CARACTERISATION DE DETAILS STRUCTURAUX.

Pyramide des essais pour la certification des structures aéronautiques
Détails structuraux retenus pour l’ANR BOOST

Dans la perspective de démontrer l’intérêt des structures bois pour les moyens de transports, il n’est pas possible de se limiter à la caractérisation matériau et aux stratégies de modélisations. Aussi, il convient de s’inscrire dans une démarche de pyramide des essais comme celle utilisée dans la certification des structures aéronautiques (Figure 6 - gauche). Dans le programme allemand CULT (Car Ultralight Technologies), en lien direct avec l’automobile et en particulier Volkswagen, il avait été retenu des démonstrateurs technologiques comme un panneau arrière ou un plancher ce qui correspond à des analyses au troisième niveau de la pyramide des essais. Dans l’ANR BOOST, nous choisissons de nous intéresser dans un premier temps aux liaisons boulonnées des contreplaqués (Figure 6). En effet, ce type de liaison est assez générique car elle intéresse tous les domaines des transports. De plus, les contreplaqués étant très peu utilisés jusqu’à présent pour des structures travaillantes, il n’y a pratiquement pas d’études sur le sujet. Ce type de jonction pose de nombreuses questions scientifiques : influence du drapage (en particulier celle des plis à +/- 45° dans la tenue de l’assemblage) et des essences, variabilité et influence des endommagements et des défauts, démarche expérimentale et modélisation à rupture. Pour ce sujet, la stratégie sera d’abord expérimentale avec la démarche classique utilisée en composite avec des essais sur éprouvette
demi-trou pour la tenue au matage, éprouvette trouée, éprouvette habitée en traction et compression et arrachement hors-plan. L’applicabilité de la méthode semi-empirique « point stress » aux contreplaqués sera évaluée. Les essais sur éprouvettes trouées seront retenus pour la modélisation car ils servent de « juge de paix » pour l’évaluation des stratégies de modélisation. Une analyse des jonctions multi-matériaux sera ensuite proposée via des essais double cisaillement contreplaqué/contreplaqué, contreplaqué/aluminium et contreplaqué/composites.

Crash box de véhicules de sport (à gauche réalisation en lin).

Dans un deuxième temps, il s’agit de convaincre les industriels de la pertinence des structures base bois pour leur utilisation sur des véhicules. Dans des études précédentes et en particulier la thèse de Romain Guélou, l’ICA a montré les très bonnes caractéristiques du bois en termes d’absorption d’énergie. Il a été montré que le peuplier a une SEA (Specific Energy Absorption) d’environ le 1/3 de celle du carbone pour un prix 40 fois inférieur. En utilisant les données expérimentales des études antérieures et les avancées du travail de modélisation, on se propose de réaliser une crash-box échelle 1:1, similaire à celles montrées Figure 7 et de la tester en statique et en dynamique.

Au bilan, les résultats attendus de l’ANR BOOST sont la mise en place des briques scientifiques et technologiques élémentaires permettant le développement des structures bois pour les véhicules dans le cadre de la bioéconomie : méthodes de caractérisations, méthodes de calcul et applications à des détails structuraux : jonctions boulonnées et crash-box.